Comment l’épidémie de la Covid‑19 bouscule le concept de résilience

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Partout dans le monde, notre capacité à traverser la crise sanitaire liée au coronavirus est scrutée à la loupe. Il est impossible de faire des généralités, tant les situations sont diverses d’un individu à l’autre, soulignent les experts.

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Comment l’épidémie de la Covid‑19 bouscule le concept de résilience

Quand survient un événement historique, a fortiori à l’échelle mondiale, des mots nouveaux apparaissent dans le langage courant. Ou bien, des termes jusqu’alors peu usités sont, tout à coup, employés avec abondance. Avec la pandémie de la Covid‑19, le substantif « résilience » s’est imposé dans les conversations, pour saluer la capacité d’un pays à résister au coronavirus et à aller de l’avant. Mais de quoi parle‑t‑on réellement ? 

Affronter la crise et « faire avec » 

« La résilience d’une population est sa capacité à résister à des chocs fortement stressants qui impactent les équilibres psychiques ou l’organisation sociale dans son ensemble », rappelle le psychologue du travail Pierre‑Eric Sutter. Pour ce chercheur en sciences sociales qui a publié un livre sur le sujet*, la résilience renvoie au stress et à la façon dont les individus y font face. 

Les anglophones parlent de « coping » (« faire avec »), un terme qui exprime « la faculté de savoir évaluer les enjeux, risques ou dangers de l’environnement, puis de mobiliser les ressources les plus adéquates dont chacun dispose, qu’elles soient internes (valeurs, émotions, expériences) ou externes (entourage, institutions, savoirs) ».  

On l’a bien vu avec la Covid‑19, la première stratégie de réaction à une crise inédite est de l’accepter, plutôt que de la nier. « Ensuite vient la focalisation active, une stratégie qui a permis aux Français de se concentrer sur le problème, en privilégiant l’action », explique Pierre‑Eric Sutter. Par exemple : les particuliers abordent les périodes de confinement en faisant rapidement des réserves, pour ne pas être pris au dépourvu. Troisième stratégie : la focalisation cognitive. Il s’agit cette fois « d’analyser les situations en se servant des informations disponibles », afin d’anticiper les problèmes et de les résoudre « de façon active et efficace »

La résilience, un terme galvaudé ? 

Quatrième stratégie de résilience : le changement radical de mode de vie. « L’acceptation du confinement par la très grande majorité des Français, plutôt que la révolte et malgré certains « coups de gueule », en est la parfaite illustration », note le psychologue. 

Enfin, cinquième et dernière stratégie : le contrôle émotionnel. « Celui‑ci a révélé la capacité de la plupart des Français à maîtriser la situation sans paniquer, ni montrer ostensiblement leurs affects malgré le caractère inédit de la crise sanitaire et les peurs qui en découlaient : tomber malade ou mourir, manquer d’aliments ou de médicaments, etc. » 

Une fois cela posé, la réflexion sur la résilience mérite d’être approfondie. « Le terme est hyper médiatisé, au point de perdre sa substance initiale », met en garde le neuropsychologue Francis Eustache, chercheur spécialisé en imagerie cérébrale. « Pour qu’il y ait résilience, il faut qu’il y ait eu un traumatisme, et ensuite une réparation. C’est un parcours personnel que l’on ne retrouve pas nécessairement dans la situation que connaît le monde actuellement », dit‑il. 

En clair, la Covid‑19 n’est pas un traumatisme pour tout le monde et conduit à des comportements extrêmement différents. « Des gens perdent leur travail, d’autres basculent dans le télétravail. Il est donc difficile de parler de résilience », insiste Francis Eustache, qui préfère souligner les conséquences de l’épidémie sur la santé mentale, le bien‑être et le mal‑être des Français : « Ce que l’on sait, c’est que cette crise génère de l’anxiété. Pour les personnes qui étaient déjà anxieuses avant, le phénomène s’accroît. Et aujourd’hui, il semble qu’il y ait plus d’éléments de dépression. » 

Entre les gens qui ont très peur et ceux qui refusent de se faire vacciner, le spectre des situations individuelles est extrêmement large. La Covid‑19 peut être traumatisant ponctuellement, pour qui se réveille en service de réanimation par exemple. Mais collectivement, « ce n’est pas un traumatisme », au sens où on l’entend pour la victime d’un attentat par exemple. 

« La pandémie a ceci de positif qu’elle nous rappelle l’importance du lien social. A cet égard, l’expression « distanciation sociale » a été une grave erreur, une aberration, même. Il faut en réalité parler de distanciation physique, et au contraire développer le lien social », estime Francis Eustache, qui ne cache pas son inquiétude pour la santé mentale des jeunes et l’équilibre des adultes au travail. 

* « N’ayez pas peur du collapse », co‑écrit avec Loïc Steffan, éditions Desclée de Brouwer, août 2020. 

Les entreprises font elles‑aussi œuvre de résilience  

La pandémie de la Covid‑19 est « un véritable laboratoire pédagogique de la notion intuitive mais complexe de résilience » dans les entreprises. Tel est l’avis de Jean Pariès, directeur scientifique de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (ICSI). Depuis le début de la crise sanitaire, il faut des réserves (de masques, de gel hydroalcoolique, ...), des capacités de réorganisation (de nos instances de décision, de nos « distances sociales », de nos chaînes d’approvisionnement...), un minimum de découplage économique (pour éviter les « nœuds de dépendance »), des capacités de mutation (pour convertir une chaîne de production automobile en production de respirateurs, ou des internes de chirurgie en aides‑soignants…) 

De l’expertise, donc, des compétences, de la créativité, de la diversité... « Et surtout, dit‑il, surtout, de la solidarité, de la communication, du désintéressement, de la transparence, de l’honnêteté, des valeurs communes. Bref, du lien social ». D’après cet expert, la domination des préoccupations de santé, depuis mars 2020, a modifié les équilibres entre production, profitabilité, sécurité industrielle, sécurité au travail, santé au travail et environnement.  

« Sur le terrain, la gestion de l’épidémie limite la disponibilité de la main d’œuvre et les présences sur site. Elle entraîne le recours massif au télétravail, introduit les contraintes de protection individuelle au sein des équipes. » De nouveaux arbitrages doivent être rendus, des activités modifiées, repoussées ou abandonnées. « Un nouveau mode de gestion de la sécurité industrielle est à inventer », conclut Jean Pariès.