« L’ère d’une coexistence durable entre le public et le privé »

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Les champs d’action de la sécurité publique et de la sécurité privée sont parfois difficiles à cerner. À l’heure où leur partenariat est devenu une question de société, Christophe Aubertin, maître de conférences à l'Université de Paris*, fait le point.

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L’ère d’une coexistence durable entre le public et le privé

En quoi la notion de sécurité privée diffère-t-elle de la sécurité publique ?

Christophe Aubertin : À mon sens, la question centrale, c’est le partenariat qui peut exister, ou non, entre la sécurité privée et la sécurité publique. On en parle beaucoup actuellement et ceci a même été consacré par la loi pour une sécurité globale, entrée en vigueur en mai 2021. Faut-il voir dans cette idée de partenariat un mythe ou une réalité ? Nous sommes sans doute entre les deux.

S’agissant des différences entre sécurité publique et sécurité privée, il y a énormément à dire. Dans les deux notions, on retrouve le mot sécurité. Or on voit bien que si l’objet est commun, il comporte de nombreuses significations qui recouvrent des réalités extrêmement variées. Et en vérité, il y a opposition, à la fois quant au but et quant au moyen.

Quel est le but premier de la sécurité publique ?

C. A. : La sécurité publique vise l’intérêt général. La sécurité privée, au contraire, a pour but l’intérêt, d’une part d’un client qui cherche à prévenir la malveillance dont il pourrait être victime, et d’autre part de l’entreprise de sécurité, qui est d’ordre pécuniaire puisqu’il s’agit d’une activité commerciale. La sécurité publique, elle, est régie par le principe de gratuité, sauf pour quelques cas particuliers dans le domaine des secours.

Les moyens sont-ils comparables de part et d’autre ?

C. A. : On retrouve une opposition très tranchée sur les moyens, car les acteurs publics que sont la police nationale et la gendarmerie, l’administration pénitentiaire, les douanes, etc. sont investis de prérogatives de puissance publique. C’est par leur intermédiaire que l’Etat exerce son autorité. C’est même l’une de ses missions « essentielles », disait Max Weber. Dans le privé, les moyens sont contractuels. Les agents de sécurité privée ne peuvent ni pratiquer de fouilles intrusives, ni recourir à la force, sauf dans les situations de légitime défense ou dans les états de nécessité.

Pourquoi, dans ce cas, cherche-t-on à rapprocher la sécurité privée de la sécurité publique ?

C. A. : À première vue, une coordination sur un pied d’égalité ne paraît pas envisageable. Toutefois, il y a des exceptions, du fait par exemple que le secteur public régule le secteur privé, en exerçant un contrôle unilatéral.

Comment imaginer des synergies entre les deux ?

C. A. : Ce sont les nécessités pratiques qui amènent actuellement à y réfléchir. Depuis les années 1980, il est clair que la puissance publique n’est plus en mesure de satisfaire tous les besoins de sécurité de la population. Elle ne peut plus se passer d’un recours à la sécurité privée, en particulier au sein des entreprises. De longue date, ces dernières veillent à leur sécurité auprès de prestataires privés. Plus récemment, le recours aux entreprises de sécurité privé s’est développé avec des situations parfois paradoxales. La surveillance de nombreux ministères est ainsi assurée par des entreprises de sécurité privée. On en arrive au point où le nombre d’agents de sécurité privée, autour de 170 000 maintenant, dépasse les effectifs de la police ou de la gendarmerie, pris séparément. Et l’on peut imaginer que cet état de fait est durable.

Dans quels domaines la coopération a-t-elle déjà lieu ?

C. A. : D’abord, il existe un certain partage de fait des missions. L’état des finances publiques est tel qu’on imagine mal que le secteur public puisse satisfaire l’ensemble de la demande de sécurité. On est d’ores et déjà entré dans l’ère d’une coexistence durable entre le public et le privé. Les terrains du rapprochement peuvent être multiples. Si la théorie voudrait qu’il y ait une véritable organisation globale des partenariats, il y a en pratique quelques esquisses concrètes à l’échelon national et à l’échelon territorial.

Au niveau national, que se passe-t-il ?

C. A. : L’Etat dispose d’un délégué aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité. La fonction est rattachée au ministère de l’Intérieur mais elle a bien du mal à trouver sa place et son autonomie, par rapport à d’autres directions de ce ministère qui traitent elles aussi de la sécurité privée. Je pense par exemple à la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, ou à la Direction de la cybersécurité. Le délégué doit en outre, encore trouver ses marques avec le Conseil national des activités privées de sécurité, le CNAPS, qui n’a à son crédit que des réalisations extrêmement modestes.

Et au niveau territorial ?

C. A. : Le constat est aussi décevant. Il existe des Comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (les CLSPD), qui opèrent sous l’égide des préfets pour les départements, et sous celle des maires pour les communes. Mais force est de constater que ces comités se contentent de réunir différentes composantes de la sécurité publique, sans aller au-delà.

Etes-vous pessimiste pour l’avenir ?

C. A. : Malgré le manque d’organisation du continuum de sécurité entre public et privé, certaines réalisations s’avèrent tout à fait convaincantes. C’est le cas de la sûreté des ports et des aéroports, lieux de coproduction de la sécurité, avec une pluralité des forces publiques - douaniers, police de l’air et des frontières - et des agents de sûreté aéroportuaire, chargés de l’inspection et du filtrage, sous l’autorité des officiers de police judiciaire. Même chose dans les centres commerciaux, où il existe des conventions cadre de sécurisation qui précisent les rôles des différents acteurs.

Que faudrait-il faire pour diversifier ce type de convergences ?

C. A. : Une meilleure organisation des autorités publiques en matière de partenariats serait très recommandable. Du côté privé, il conviendrait de lever l’obstacle que constitue le manque d’organes représentatifs. Trop de rivalités entre les organisations professionnelles sont encore à déplorer. De gros efforts ont été fournis par la profession en termes de moralisation, mais ils ne sont pas totalement reconnus et accomplis. L’heure de vérité sonnera avec les Jeux Olympiques de Paris en 2024. Cet événement va soulever des problèmes de sécurité aigus et on risque d’avoir recours à des expédients de dernière minute si rien n’est fait d’ici là.

* également directeur de la licence professionnelle « Sécurité des biens et des personnes » au Centre de droits des affaires et de gestion (Cedag)