La sécurité, du monopole de l’État au partenariat public-privé

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Les acteurs privés de la filière attendent du Livre Blanc de la sécurité intérieure, dont la publication ne cesse d’être repoussée, qu’il clarifie leur rôle et élargisse le partage des prérogatives avec la police et la gendarmerie. 

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La sécurité, du monopole de l’État au partenariat public-privé

La sécurité est une notion mouvante, dans l’espace et dans le temps. Mais avec la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus, la peur s’installe et le monde prend conscience que la sécurité peut prendre des acceptions aussi variées que les biens matériels, les données informatiques, l’alimentation, le territoire national, l’économie, l’emploi ou, bien sûr, la santé. Et voilà que se posent crûment des questions fondamentales : Quel rôle doivent jouer les forces de l’ordre dans notre vie quotidienne ? Jusqu’où peut-on limiter l’exercice des libertés fondamentales ? Quelles missions pourrait-on à l’avenir déléguer aux acteurs privés de la sécurité ? 

Les chiffres, au-delà du sentiment de peur  

« La peur est un sentiment relatif mais mon analyse est que l’insécurité n’est pas réductible à un sentiment », met en garde Guillaume Farde, conseiller scientifique de la spécialité sécurité-défense à l’École d’Affaires publiques de Sciences Po. 

Pour cet expert, qui vient de publier un ouvrage intitulé « Le continuum de sécurité nationale. Quelles externalisations pour demain ? » (Hermann, juin 2020), le débat national sur la sécurité part à la dérive et c’est à Jacques Chirac qu’on le doit : 

Le 14 juillet 2001, le président de la République, candidat à sa réélection, installe l’idée du sentiment de peur à l’approche de la présidentielle. Il en parle comme d’un ressenti, c’est à dire qu’il sous entend que le niveau d’insécurité est relatif à la personne qui en fait témoignage, ce qui est évidemment réducteur. 

Au-delà du ressenti, il y a en effet des histoires vécues, des réalités expérimentées. Il suffit de regarder les statistiques de la délinquance. Celles-ci ont été en hausse très significative en 2019, selon le ministère de l’Intérieur, avec une explosion des cambriolages à Paris, des poursuites pour coups et blessures partout dans l’Hexagone, ou des atteintes sexuelles faites aux femmes. Au premier semestre 2020, le confinement imposé au pays entre le 17 mars et le 10 mai s’est quant à lui illustré par une hausse de 75 % des violences physiques et de 58 % des violences verbales, indique la gendarmerie nationale*. Durant cette période exceptionnelle, et à la faveur du rôle particulier joué par les forces de l’ordre dans le contrôle des déplacements, 379 faits de violences urbaines visant des policiers ont été enregistrés, dont 79 guets-apens. Au total, 164 villes ont connu au moins un épisode de violences urbaines**. 

Partager les missions de sécurité 

Selon Guillaume Farde, la politique publique émanant du ministère de l’Intérieur essaie d’installer le thème de la sécurité au quotidien sans y parvenir, car la France « pâtit d’une formation insuffisante des policiers, d’une chute du taux d’encadrement des forces de l’ordre, de l’effondrement des budgets alloués à la sécurité, lequel place la police et la gendarmerie sur la voie de la paupérisation »

Il est de plus en plus évident que le secteur public ne peut plus tout faire, qu’il va lui falloir partager les missions de sécurité avec les polices municipales et les sociétés de sécurité privées, dit-il en substance. 

Mais une fois posé le diagnostic sur le partage inéluctable des tâches, se pose la question du « comment ». Et arrive alors la notion de « continuum de sécurité », cette idée que le public et le privé peuvent travailler ensemble pour assurer la sécurité des Français. 

« Elle a pris corps après les attentats de 2015. On s’est rendu compte à l’époque que sans l’armée et sans la sécurité privée, l’Etat ne parvenait plus à protéger la population », estime Guillaume Farde. 

Le très attendu Livre Blanc de la sécurité intérieure 

Le continuum de sécurité est en tous les cas devenu une piste de réflexion officielle, l’un des grands sujets explorés lors des travaux de rédaction du nouveau Livre Blanc de la sécurité intérieure. Promis d’abord pour le début de l’année 2020, puis retardé à cause du confinement, et repoussé encore par le remaniement gouvernemental intervenu après les élections municipales, ce document est très attendu par les professionnels de la sécurité, qui espèrent sa traduction rapide dans une nouvelle loi d’orientation sur la sécurité intérieure

Pour le moment, rien n’est encore tranché, ni sur les prérogatives à donner aux maires, ni sur les moyens qu’une commune pourrait consacrer à la sécurité, ni jusqu’où la sécurité privée pourrait étendre son champ d’action. Ce sera au parlement de trancher, en créant un statut juridique pour les agents de sécurité, et en décidant des niveaux d’équipement qui pourraient leur être alloués. « Vivre en sécurité, c’est le droit à ne pas avoir à redouter de crime ou de délit quand on exerce des libertés individuelles telles qu’aller et venir, s’exprimer, fréquenter l’espace public à toute heure du jour et de la nuit, d’après Guillaume Farde. Cela suppose un espace public complètement pacifié. Et si l’on est victime, que l’on puisse compter sur les forces de sécurité pour que les auteurs du préjudice soient arrêtés. C’est un principe démocratique qui induit que personne ne redoute le contact avec la police. » 

Revaloriser le métier d’agent de sécurité 

Le député La République en Marche de Seine‑et‑Marne Jean‑Michel Fauvergue, commissaire de police de profession, calcule qu’en réformant la police et la gendarmerie, « où il y a pléthore de gens dans les bureaux et les états-majors », l’État récupèrerait des milliers d'agents en sécurité publique. Guillaume Farde, lui, voit dans le contexte actuel l’occasion historique pour l’Etat de déléguer une partie de ses prérogatives à la filière privée, et pas seulement ce que l’administration, par méconnaissance des mécanismes économiques, appelle « les tâches indues »

Pour bien faire, il conviendrait de revaloriser le métier d’agent de sécurité et d’homogénéiser les prérogatives, les uniformes, les salaires… Reste  à convaincre l’Etat de mettre fin au monopole dont il jouit depuis 1789, dans un pays où les citoyens attendent précisément tout, ou presque, de l’Etat. Sauf nouvelle catastrophe d’ici là, les Jeux Olympiques de Paris, en 2024, constituent aujourd’hui la ligne de mire. Ils dessinent l’horizon à partir duquel le continuum de sécurité devra être devenu réalité. 

* Source : communiqué de presse daté du 13 mai 2020 de l’audition du général Christian Rodriguez, directeur de la gendarmerie nationale.  

** Source Le Figaro, article daté du 6 mai 2020 « La carte des violences urbaines pendant le confinement », d’après les chiffres du ministère de l’intérieur