« La sécurité privée doit monter en gamme »

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Olivier de Mazières, Préfet, délégué ministériel aux partenariats, aux stratégies et aux industries de sécurité au ministère de l’Intérieur.

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La sécurité privée doit monter en gamme

A un an de la Coupe du monde de rugby organisée par la France, où en est le continuum de sécurité ? 

Le continuum de sécurité n’est jamais figé, il se construit au quotidien. A l’occasion des grands événements internationaux que seront la Coupe du monde de rugby et a fortiori les Jeux Olympiques, en 2024, il va s’exprimer à travers une forte coopération entre les forces de sécurité intérieure, police nationale et gendarmerie, les polices municipales, et les acteurs de la sécurité privée. 

En quoi les réformes récentes donnent-elles un nouveau rôle au privé dans le maintien de l’ordre ? 

L’organisation des compétences repose sur différents textes, le plus important étant la loi pour une sécurité globale de mai 2021. Celle-ci a permis de franchir un pas important, en donnant des armes pour une meilleure coopération entre public et privé. Par secteur privé, j’entends les sociétés de sécurité au sens classique du terme, mais aussi les industriels de la sécurité qui assurent ce que j’appelle le continuum des moyens. L’actualité nous en a fourni un exemple en août, avec une attaque cyber dans le secteur hospitalier. Aujourd'hui, les menaces cyber sont au moins aussi importantes que les attaques physiques. Quand on veut traiter les sujets de sécurité dans leur ensemble, il ne faut jamais laisser de côté l’aspect technologique. 

Que manque-t-il encore au privé pour tenir toute sa place ? 

Pour que le continuum de sécurité fonctionne bien, il y a des préalables. Il faut d’abord favoriser la montée en gamme de la sécurité privée, comme l’ont fait par le passé les polices municipales, qui développent maintenant des partenariats efficaces avec la police et la gendarmerie nationale. Si nous voulons que la sécurité privée soit intégrée aussi bien que dans d’autres pays, l’Espagne par exemple, il faut professionnaliser la filière et ses acteurs. C’est l’objet, entre autres réformes, de l’encadrement de la sous-traitance mis en place par la loi pour une sécurité globale. 

Quel est le schéma retenu pour la Coupe du monde de rugby de 2023 et les JO de 2024 ? 

Lors des grands événements à venir, des coopérations locales vont être mises en place autour des sites de compétition et des « fan zones », et sur les axes de transports qui achemineront le public. Il y aura nécessairement un travail conjoint de la police, de la gendarmerie, des polices municipales et des sociétés privées de sécurité. Notre travail est de faire en sorte que tout le monde soit disponible le jour J. Et pour filer la métaphore sportive, nous jugerons l’efficacité du dispositif sur la ligne d’arrivée. 

Comment l’État prépare-t-il ces coopérations ? 

Les pouvoirs publics interviennent dans de nombreux registres. Le ministre de l’Intérieur et la ministre des Sports l’ont annoncé cet été, l’État s’assure du fonctionnement et du maintien des compétences jusqu’en 2024. La délivrance des cartes professionnelles va être fluidifiée et un titre d’agent de sécurité événementiel a été créé, pour faciliter les recrutements. De son côté, le ministère du Travail entend mobiliser les détenteurs de cartes, valides ou non, qui n’exercent plus dans le secteur. On estime que 120 000 agents de sécurité ont changé de métier ou sont en recherche d’emploi. Il s’agit de les mobiliser pour renforcer les moyens des 180 000 agents de sécurité recensés actuellement dans les entreprises privées.  

Où les entreprises peuvent-elles trouver de nouvelles ressources humaines ? 

Le ministère de l’Intérieur et celui de l’Éducation nationale travaillent actuellement à la mobilisation des jeunes, pour la Coupe du monde de rugby et surtout pour les JO. Il s’agit d’identifier de nouveaux viviers potentiels, je pense notamment aux étudiants de la filière sécurité. L’enjeu est important, car il faut mobiliser 25 000 à 30 000 agents de sécurité pour les JO, sans prélever sur les missions assurées habituellement en période estivale par la sécurité privée. 

Qu’est-ce qui peut attirer les jeunes dans l’univers de la sécurité ? 

Ce qui fera la différence, c’est le niveau de rémunération proposé par les entreprises, ainsi que les conditions de transport et de logement offertes durant ces événements. Il va en effet falloir recruter partout en France, bien au-delà de la région parisienne. Un travail de sensibilisation est en outre mené auprès du Comité organisateur des JO, le Cojo, puisqu’une partie des agents de sécurité du privé mobilisés sera affectée aux sites de compétition. 

Trouvez-vous que l’image du secteur s’améliore ? 

Ces dix dernières années, grâce en particulier à la création du CNAPS en 2012, les choses se sont considérablement améliorées. Mais il existe toujours un défaut d’attractivité. Je suis frappé de constater que la sécurité privée est toujours vue à travers l’image désuète du vigile. Or elle offre des métiers beaucoup plus diversifiés et valorisants qu’on ne croit. Il faut donc proposer des parcours de carrière et communiquer sur la profession. C’est pour cela que les professionnels ont été réunis le 19 juillet dernier, place Beauvau. Ils ont été invités par le ministre à mieux se « vendre ». L'aboutissement des négociations de branche en cours depuis des mois sur la revalorisation des métiers repères est aussi la condition d'une meilleure attractivité. 

Vous parlez souvent de sécurité éthique. Qu’entendez-vous par là ? 

La sécurité éthique, c’est cette opportunité qui nous est donnée de proposer un modèle de sécurité strictement respectueux des libertés fondamentales et individuelles. Aujourd’hui, les technologies permettant d’optimiser l’intervention humaine sont questionnées par l’opinion publique, à juste titre. Les JO doivent être l’occasion de démontrer qu’il est possible de s’appuyer sur ces outils face à la menace cyber, aux drones, aux risques nucléaire, bactériologique et chimique, tout en étant strictement respectueux du cadre légal. La France a la chance de compter de grands champions des technologies de sécurité. Les JO seront pour eux l’occasion de démontrer leurs savoir-faire.