La sécurité, un thème politique récurrent

La sécurité est aujourd’hui un thème récurrent dans les discours  des hommes politiques, qui utilisent ce sujet, au centre de l’intérêt des Français, parfois à plus ou moins bon escient.

Entretien avec Laurent Mucchielli directeur de recherche au CNRS, sociologue de la délinquance et des politiques de sécurité.

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Vidéosurveillance

La campagne pour les élections municipales l’a montré une fois de plus en début d’année : la sécurité demeure au cœur des préoccupations des Français. Avant même que notre pays ne commence à être frappé par la pandémie du coronavirus, 47 % de la population citait la sécurité comme sa principale préoccupation, devant l’environnement (35 %) et le développement économique (32 %), d’après un sondage Odoxa-CGI dont les résultats ont été communiqués mi-décembre 2019. Une majorité de citoyens (52 %) estime que les élus de leur commune ne parlent pas assez de sécurité, même si 61 % des personnes interrogées se disent satisfaites de l'action de leur municipalité dans ce domaine.

« Cette tendance vient de loin, elle remonte même au milieu des années 1970 », souligne Laurent Mucchielli, sociologue de la délinquance et des politiques de sécurité au CNRS. C’est néanmoins au tournant des années 2000 que la politique s’est vraiment emparée du thème de la sécurité, au niveau local. Au siècle dernier, il aurait été inconcevable qu’un maire ou un conseiller régional aborde ce sujet, considéré alors comme relevant du champ régalien de l’Etat. Aujourd’hui, c’est incontournable.

Vraie crainte ou leurre médiatique et politique ?

Progressivement, donc, la sécurité est devenue un sujet aussi porteur que la feuille d’impôts, la facture d’eau ou la propreté des trottoirs. « Un peu partout dans le monde d’ailleurs, les candidats aux élections ont adopté une nouvelle posture fondamentale consistant à dire : « Vous avez peur ? Votez pour moi et je vous protègerai ! ». Ceci s’est mis à fonctionner d’autant mieux que l’Etat est fort, comme c’est le cas en France », observe Laurent Mucchielli. Dans l’Hexagone, l’autorité publique a la particularité d’être incarnée par une personnalité - le président de la République à l’échelon national, le maire à l’échelon territorial - qui renforce l’idée que la sécurité des citoyens est entre les mains de ces derniers, quand bien même ces élus n’ont pas les moyens d’assumer cette responsabilité.

« En réalité, la préoccupation des Français pour la sécurité est une construction politique et médiatique », affirme l’expert, directeur de recherche au CNRS. A l’occasion de ses travaux sur le sentiment d’insécurité, appuyés sur des enquêtes de terrain dans des communes de toutes tailles, Laurent Mucchielli est toujours frappé de voir que le nombre de personnes ayant réellement peur, par exemple, de se promener dehors le soir, représente « une très petite minorité ». Dans certaines communes, la proportion de gens à qui il arrive de se sentir en insécurité peut monter jusqu’à 15 ou 20 %, mais cela signifie que 80 à 85 % de la population est sans crainte.

En outre, il faut savoir que les deux leviers actionnés d’ordinaire par les élus - la police municipale et la vidéosurveillance - n’améliorent que « de manière minime » le ressenti de la situation. C’est d’autant plus regrettable, d’après le chercheur, que ces dispositifs coûtent cher au contribuable et que l’argent qui leur est consacré pourrait être employé à meilleur escient. Pour que la France se dote d’un système hospitalier à la hauteur des enjeux de santé publique, par exemple.

La vidéosurveillance urbaine vraiment efficace ?

Laurent Mucchielli note que bien souvent, les polices municipales se construisent en imitant la police nationale, avec les mêmes véhicules, les mêmes uniformes et les mêmes missions… « On s’éloigne de l’idée première, et accessoirement de l’attente de la population, qui était de bénéficier d’une police de proximité, que l’on connaît, qui se déplace à pieds et avec laquelle on peut entrer facilement en contact », dit-il.

De même la vidéosurveillance dans les villes n’obtient-elle que de piètres résultats dans la détection des dangers. « La bonne question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre les caméras, mais de savoir si le rapport coût/avantage est bon », souligne-t-il.

Toutefois, le nombre de caméras rapporté au nombre d’habitants réserve des surprises. En Provence, un hameau s’est doté de 12 caméras pour 150 administrés. Et les attentats de 2015 n’ont rien arrangé.

« La rhétorique anti-terroriste tourne désormais à plein régime », pointe M. Mucchielli, qui regrette que le champ de la prévention et la réflexion à moyen terme soit délaissé.