La violence dans notre société, une notion à relativiser

Publié le Modifié le

Selon Jean-François Dortier, qui se consacre à une nouvelle discipline, l’humanologie, toutes les formes de violence que nous subissons connaissent un déclin massif sur le long terme.

Temps de lecture : 6 minutes (en moyenne)

Violence

Vivons-nous dans un monde de plus en plus violent ? Dans le contexte de menace islamiste et d’épidémie de Covid-19, le sentiment général, nourri par les informations anxiogènes véhiculées par les médias, pousse à répondre par l’affirmative.

Or, il y a déjà trois ans Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard, expliquait au magazine Cerveau & Psycho, que le monde est en réalité « de moins en moins violent ». D’après lui, beaucoup de gens sont terrifiés par ce qu’ils voient à la télévision ou sur Internet, les attentats terroristes, les guerres, les infanticides, les viols, les meurtres de masse.

« Mais dès lors que l’on se penche sur les chiffres, c’est une autre affaire, dit-il, la violence n’a en fait cessé de décliner depuis que nous disposons d’indices permettant de la quantifier ». Mieux : « Nous vivons probablement à l’époque la moins violente de toute l’histoire humaine », ainsi que le démontre le décompte des homicides commis de par le monde à travers les siècles, rapporté à la taille de la population.

Le terme violence, un peu « fourre-tout »

« Sur le long terme, il y a un déclin massif de toutes les formes de violence dans la société », confirme Jean-François Dortier, humanologue et directeur de la publication du magazine Sciences humaines, qui tient à préciser que le terme violence « est un peu fourre-tout, puisqu’il va de la paire de claques au génocide ».

Aujourd’hui, on déplore en France entre 800 et 950 homicides par an. « Il y a vingt ans c’était deux fois plus, il y a quarante ans, quatre fois plus, et au XIXe siècle, cinquante à cent fois plus » ! Et ceci vaut pour les cinq grandes familles de violence : la guerre, la politique (sous forme par exemple de répression policière), la criminalité (les homicides, les vols avec agression, les viols…), la violence domestique (des hommes sur les femmes pour l’essentiel) et la violence verbale (le harcèlement), qui peut elle aussi se révéler dévastatrice.

Si le thème de la violence est devenu central dans le débat public à partir du début des années 90, c’est notamment « parce que les responsables politiques se sont mis à commenter en permanence les statistiques s’y rapportant », observait récemment le sociologue Laurent Mucchielli dans les colonnes du magazine Sciences Humaines, d’autant que « les médias relayent et illustrent ces interrogations, en puisant dans l’intarissable source des faits divers ».

Une partie du public aime que l’on parle de violence

« Il existe incontestablement un phénomène médiatique autour de la violence, qui est renforcé par la place prise aujourd’hui par les réseaux sociaux », acquiesce Jean‑François Dortier. Cette caisse de résonance donne ainsi parfois l’impression que le monde est à feu et à sang, alors qu’il a tendance à se pacifier.

« Il faut dire aussi que le public aime qu’on parle de la violence. La preuve : jamais on n’a vendu autant de romans noirs, de séries policières et de jeux vidéos violents », relève l’humanologue, suggérant un décalage total entre fiction et réalité. Le cinéma, par exemple, aborde fréquemment le thème des serial killers alors que ces derniers sont rarissimes.

Sur le long terme toujours, il s’avère que des violences vécues comme des marqueurs de notre société actuelle sont en réalité bien moins prégnantes qu’il y a une cinquantaine d’années. « Je me souviens qu’à l’époque, les violences racistes étaient monnaie courante dans les villages, de même que l’homophobie. Ces maux sont devenus intolérables à juste titre mais dans les années 70, c’étaient des non‑évènements », pointe Jean-François Dortier.

Les mouvements de contestation actuels moins violents que dans le passé

Ce qui est nouveau en revanche, ce sont les formes de violence, comme le harcèlement en milieu scolaire, que l’on appelle aujourd’hui le « bullying », rendu plus visible dans les cours de récréation grâce à Instagram ou Tik Tok. Sur le court terme, les évolutions peuvent parfois être erratiques. En 2019, le nombre d’homicides a connu une vive recrudescence en France, sans que l’on sache encore si cela était dû à de nouveaux règlements de comptes entre clans, à une poussée des violences domestiques ou à une explosion des conflits conjugaux.

Dans le même esprit, le mouvement de contestation des Gilets Jaunes a fait régner une situation quasi insurrectionnelle comme la France n’en avait pas connue depuis longtemps. Mais cela était sans commune mesure avec la remise en cause de l’ordre républicain dans les banlieues. Les spécialistes se souviennent du reste que dans les années 80, les violences paysannes étaient autrement plus violentes.

Cet été, dernier exemple, une enquête a identifié une poussée soudaine de la criminalité qui a fait surgir le mot « ensauvagement » dans le discours politique. En vérité, les indicateurs évoqués par cette enquête portaient sur les trois derniers mois. Mais comme les trois mois précédents correspondaient au confinement contre l’épidémie de Covid-19, la comparaison était forcément défavorable, puisque les délits avaient fortement chuté entre avril et juin. « Tout cela pour dire qu’il ne faut pas avoir les yeux rivés sur le court terme, quand on veut décrypter les phénomènes de violence dans la société », conclut Jean-François Dortier.

Les Français toujours plus demandeurs de protection

L’angoisse provoquée par la crise sanitaire et la menace que fait peser la récession économique sur l’avenir font broyer du noir aux Français. Selon l’étude annuelle « Fractures françaises » des instituts Ipsos-Sopra Steria pour le journal Le Monde, publiée en septembre 2020, la société française connaît actuellement un pic d’anxiété. « Plus la crise est forte, plus l’angoisse est importante, plus les Français demandent de la protection et se raccrochent à des institutions dont ils estiment qu’elles ont dernièrement tenu le choc, joué un rôle positif et les ont protégés », analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Aujourd’hui, 78 % des Français pensent que leur pays est sur une pente descendante (+ 5 points par rapport à 2019) : 49 % des sondés placent le Covid-19 parmi leurs trois principales préoccupations, devant le pouvoir d’achat (39 %), l’avenir du système social (37 %), et la protection de l’environnement (36 %).