Le Beauvau de la sécurité, grand débat sur la police

Lancé en février 2021, le Beauvau de la sécurité se veut être un grand débat à propos des forces de l’ordre pour nourrir un futur plan de réformes. Des rencontres dont on attend qu’elles s’interrogent sur les relations entre la police et la population.

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Police

Après avoir fait paraître un Livre Blanc de la sécurité intérieure en novembre 2020, après avoir, également, accompagné la proposition de loi parlementaire sur la sécurité globale, le gouvernement a lancé le 1er février 2021 le Beauvau de la sécurité. Des conférences qui se tiennent tous les quinze jours jusqu’au mois de mai. Ces rencontres sont diffusées en direct sur les réseaux sociaux du ministère de l’Intérieur et réunissent l'ensemble des organisations représentatives de la police nationale et de la gendarmerie, ainsi que huit élus, une vingtaine de personnalités qualifiés et huit experts internationaux.

Répondre à une actualité marquante

Le Premier ministre, Jean Castex, a expliqué qu’il s’agissait de donner « davantage de force, d’effectivité et d’adhésion » à la relation entre les citoyens et les forces de l’ordre. Ce Beauvau de la sécurité est notamment une réponse apportée aux différentes affaires de violences policières qui ont fait récemment la une des médias, tant en France qu’aux États-Unis. « Ce constat effectué, une question se pose : a-t-on en France les mêmes problématiques à traiter qu’aux États-Unis ? », s’interroge Mathieu Zagrodzki, spécialiste de la police au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) du CNRS*, à l’université de Versailles Saint-Quentin.

L’appellation de cette série de rendez-vous, en faisant référence à la place Beauvau, où se trouve le ministère de l’Intérieur à Paris, indique que le gouvernement entend s’inscrire dans la tradition des grand-messes du type Grenelle de l’environnement, ou Ségur de la santé. Il se dit prêt à une discussion au niveau national sur les questions de déontologie ou de mesures disciplinaires.  

Recréer la confiance

Après la vague d’attentats de 2015 et 2016, la popularité de la police
a connu un pic, avec un taux de confiance supérieur à 80 % dans la population. Depuis, cette popularité est retombée entre 65 % et 70 %, notamment avec la crise des gilets jaunes. D’ordinaire, si les français reconnaissent que la police travaille dans des conditions difficiles, à peine la moitié d’entre eux considèrent qu’elle fait usage de la force de manière pertinente. « La France se situe dans une sorte de ventre mou européen, entre la Scandinavie où la population soutient la police à des niveaux extrêmement hauts (plus de 90 %) et certains pays d’Europe de l’Est, où la police est perçue comme corrompue et inefficace », estime Mathieu Zagrodzki.

La démarche en cours place Beauvau fait participer des responsables du ministère de l’Intérieur, des syndicats de police, des cadres de très grandes entreprises et des personnalités extérieures. « C’est dommage qu’aucun universitaire ou chercheur n’ait été convié, alors que la profession a des choses à dire.  De même, personne de la société civile ou du monde associatif ne participe aux tables rondes, alors que quantité d’ONG* travaillent sur les relations entre police et population », fait-il remarquer.

Recentrer le débat

De ce fait, que peut-on attendre de cette initiative ? « Espérons que l’on ne se cantonne pas au traditionnel débat sur les moyens donnés aux forces de l’ordre, et à leur protection juridique. Il serait beaucoup plus intéressant de réfléchir à ce que la police peut apporter à la société », explique l’expert, qui appelle de ses vœux un débat plus philosophique.

« On peut bavarder longtemps sur la formation ou le recrutement des policiers. Mais ça ne débouchera sur rien, si l’on ne définit pas des indicateurs de mesure de l’activité policière, et si l’on ne choisit pas les profils humains et intellectuels que l’on souhaite recruter dans ses rangs », affirme-t-il.

Mathieu Zagrodzki alerte par ailleurs sur les risques de redondances de ce genre de cycle de conférences. Il rappelle ainsi qu’en 2017, juste après l’élection présidentielle, un chantier avait été ouvert par la place Beauvau sur « la police de sécurité du quotidien », laquelle prétendait poser une nouvelle doctrine d'emploi de la police française : « A l’époque, le contexte politique était beaucoup plus réformateur et il avait été acté qu’une instance de pilotage de la réforme de la police serait créée, avec l’implication de personnes extérieures ». Ladite instance est restée à l’état de « coquille vide » et n’a jamais fonctionné, constate-t-il.

Le secteur privé de la sécurité n’est pas concerné par le débat sur les relations entre la police et la population et celui sur les violences illégitimes des forces de l’ordre. Mais peut-être devrait-il suivre de près les réunions du Beauvau de la sécurité, ne serait-ce que pour mieux comprendre la perception que le grand public peut avoir de cette sécurité et ce qu’il en attend.

Pour 71 % des français, la police reste « efficace et compétente »

Selon le dernier baromètre annuel (février 2021) de la confiance politique du Cevipof*, le centre de recherches de Sciences-Po, 69 % des Français ont « plutôt confiance » ou « très confiance » dans la police, ce qui constitue un léger mieux par rapport à février 2020 (+3 points). Parmi les personnes interrogées, 76 % considèrent que la police « n’est pas suffisamment reconnue pour son dévouement » et 71 % qu’elle est « efficace et compétente ». Notons tout de même qu’elles sont 55 % à trouver « qu’elle ne sanctionne pas ses agents lorsqu’ils agissent de manière fautive » et 54 % à dire que la police « n’use pas de la force à bon escient » en fonction des situations qu’elle rencontre.


CNRS : Centre nationale de la recherche scientifique
ONG : organisation non gouvernementale
Cevipof : Centre de recherches politiques de Sciences Po 

Crédit photo : Dickelbers sous licence CC BY-SA 4.0