Le citoyen, acteur de sa propre sécurité

Au-delà du droit de vote, les citoyens peuvent s’engager de différentes façons dans la vie démocratique et les questions qui l’agitent. Sur le thème prépondérant de la sécurité, chasse plus ou moins gardée de l’État républicain, les choses évoluent et la population a de plus en plus d’occasion d’apporter sa contribution aux questions sécuritaires.

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Le citoyen, acteur de sa propre sécurité

Dans notre société traversée par des peurs insidieuses, l’insécurité est devenue une source d’angoisse croissante. Mais si les questions qu’elle soulève sont encore perçues comme relevant, pour l’essentiel, de l’État et des professionnels, l’idée que les citoyens puissent, eux aussi, être acteurs de leur sécurité, commence à se faire jour. C'est dans cet esprit, par exemple, qu'Emmanuel Macron a annoncé pour le début de 2021 la mise en place d'une plateforme téléphonique et Internet, pour simplifier le signalement de discriminations.

Apporter sa pierre à l’édifice

Dès l’année 2011, il y a dix ans, le ministère de l’Intérieur a fait paraître une circulaire instituant en France un « dispositif de participation citoyenne ». Aujourd’hui en vigueur dans 5 600 communes, celui-ci suscite l’intérêt et l’adhésion des élus comme de la population. Il part du principe que chaque citoyen contribue à la sécurité de son environnement, même s’il est convenu de considérer cette tâche comme régalienne, autrement dit relevant de l’autorité souveraine, dans le cas présent l’État républicain.

Chaque personne, pense-t-on aujourd’hui, peut apporter sa pierre à l’édifice, à travers le respect des lois et règlements, l’accomplissement d’actes de prévention et de signalement aux forces de sécurité publique, ainsi que l’adoption d’une posture de vigilance face à des événements ou comportements inhabituels.

Une vision qui fait écho, d’une certaine manière, à la raison d’être de Securitas : « Nous vous aidons à faire de votre environnement un lieu plus sûr ». En 2019, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, a souhaité « faire évoluer » ce « dispositif de participation citoyenne », dans le but de « renforcer le lien entre les élus, la population et les forces de sécurité de l’État ». Un thème devenu d’actualité à l’automne 2020, dans le cadre du débat parlementaire sur la proposition de loi sur la sécurité globale, qui cherche à instaurer de nouvelles règles sur les rapports, précisément, entre le citoyen, la police et la gendarmerie.

La « société de la vigilance »

Selon les derniers chiffres du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), « un Français sur trois » n’a plus confiance dans les forces de l’ordre. C’était « un sur cinq » il y a cinq ans. L’an passé, dans un Livre Blanc pour la sécurité des territoires, le Forum français pour la sécurité urbaine, association d'une centaine de collectivités, a appelé à « renforcer le dialogue entre les forces de sécurité et les citoyens », en s’appuyant sur les conseils citoyens, là où ils existent, ou en créant des instances ad hoc ailleurs, afin que des groupes d’habitants assurent « une interface entre la population et les forces de l’ordre, y compris municipales ».

Il y a un an également, le « dispositif de participation citoyenne » a été renforcé par la création d’un système de contractualisation : des citoyens référents, choisis sur la base du volontariat, concluent avec le maire de leur commune un protocole d’une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction. Leur rôle ? Effectuer, bénévolement, des signalements auprès des forces de sécurité publique. A ne pas confondre avec d’autres dispositifs mis en place par des sociétés privées qui proposent, elles, des prestations payantes aux municipalités.

« En France, le citoyen est traditionnellement considéré comme l’usager du service public de la sécurité. Il est le destinataire des politiques publiques de sécurité sans que, contrairement au modèle britannique par exemple, cela implique une contrepartie. Depuis le discours d’Emmanuel Macron sur « la société de vigilance », la donne change cependant. Pour le chef de l’État, le citoyen devrait être en éveil, conscient de la menace et prêt à coopérer avec les forces de l’ordre en n’hésitant plus à faire des signalements. On entre dans une nouvelle dimension où le citoyen n’est plus seulement le récepteur de la sécurité publique : il en devient aussi l’acteur », estime Guillaume Farde, professeur affilié à l'Ecole d'Affaires publiques de Sciences Po et chercheur associé au Cevipof.

Évoquée pour la première fois en octobre 2019 par le président de la République, la « société de vigilance » fait référence à la mobilisation de chaque citoyen pour prévenir les dangers de l’islam radical. « Elle pose des questions d’ordre éthique, estime l’expert, car elle pourrait faire évoluer la France, si l’on n’y prenait garde, vers une société de la délation ».

Sans aller pour l’instant aussi loin, les attentats de 2015 ont donné lieu à des campagnes de sensibilisation du grand public aux « gestes qui sauvent », ainsi qu’au lancement de plateformes de signalement sur Internet (Pharos, Stop Djihadisme), dont les derniers événements dramatiques survenus dans l’Hexagone ont montré l’intérêt.

Les informations reçues par leur entremise ont permis d’interpeller plusieurs dizaines de suspects après la décapitation de l’enseignant Samuel Paty, dans les Yvelines.

Améliorer la communication entre les citoyens et les services publics

Dans le Livre Blanc de la sécurité intérieure, publié par le ministère de l’Intérieur le 16 novembre 2020, les citoyens formulent des attentes sur les problèmes de prise en compte des incivilités du quotidien, sur un meilleur accès au service public de la sécurité, sur le renforcement de la présence de la police et de la gendarmerie sur la voie publique, sur la demande d’amélioration de la qualité du service rendu aux citoyens… 

« Ce document, attendu depuis de longs mois, propose de renforcer la communication ascendante en cas de crise, c’est-à-dire du citoyen vers le service public de la sécurité », observe Guillaume Farde, qui rappelle que le système actuel d’appels d’urgence « n’est pas jugé optimal », du fait de la cohabitation de plusieurs numéros, le 15 pour le Samu, le 17 pour la police, le 18 pour les pompiers, le 112 pour tout type d’urgence en Europe.

Le Livre Blanc aborde aussi la communication descendante, celle qui devrait théoriquement, en situation d’urgence, permettre au ministère de l’Intérieur de s’adresser rapidement et efficacement aux citoyens. Un chantier en soi.

Crédit photo : OECD/Andrew Wheeler sous licence CC BY-NC 2.0