Quand les nouveaux risques bouleversent les problématiques de sécurité
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Le continuum sécurité-défense
C’est aujourd’hui un fait : la menace est partout. Elle se diversifie, devient multiforme. Et la demande de sécurité s’accroît d’autant.
Il y a encore une trentaine d’années, un agent de sécurité était chargé de surveiller un site par rapport à une problématique d’assurance, dans la logique de protéger le client et de pouvoir déclencher un remboursement en cas de dommage et/ou d’incident. Nous vivions dans l’ère du vigile d’usine et du videur de boîte de nuit.
Mais avec l’arrivée d’Internet et le développement du terrorisme, la vulnérabilité a considérablement augmenté dans nos sociétés, avec un risque nouveau : celui de l’intrusion, physique ou virtuelle.
La demande de sécurité des citoyens s’est accrue ainsi que le degré de technicité des menaces. Résultat, les professionnels affectés aux questions de sécurité doivent devenir de plus en plus spécialisés. « Nous vivons en permanence dans des régimes d’exception et nous ne nous en rendons même plus compte », observe Thomas Meszaros, maître de conférences en sciences politiques à l’université Lyon 3.
Selon cet expert des crises majeures et de l’intelligence stratégique, nous assistons à une extension phénoménale, autant qu’inédite, de ce que les professionnels appellent « le continuum sécurité-défense ».
Explication de Thomas Meszaros :
Les frontières entre sécurité individuelle et défense nationale sont de moins en moins évidentes à tracer. La problématique du risque va de sujets quotidiens liés à des questions individuelles d’opportunité économique ou sociologique, jusqu’à l’opération Sentinelle déployée par l’armée française après les attaques terroristes de janvier 2015 à Paris. Opération qui n’étonne plus personne alors qu’elle aurait parue très choquante dans les années 1980.
Techniques numériques versus contraintes légales
Avec l’interdépendance croissante de la politique et de l’économie, par‑delà les frontières géographiques, nous en sommes arrivés à nous poser la question d’armer les agents de sécurité privée, dans le but d’accorder à ceux-ci les mêmes fonctions que celles de la police et de la gendarmerie.
« Tout est chamboulé par la mondialisation et le développement de la cybercriminalité », estime monsieur Meszaros. Un avis que partage Jean-Gabriel Ganascia, informaticien et philosophe, présidant le comité d’éthique du CNRS : « Les techniques numériques transforment l’approche de la sécurité. D’une part, il est plus difficile qu’avant d’échapper aux contrôles. Avec la reconnaissance faciale et la biométrie, le monde est devenu très coercitif. D’autre part, on voit surgir de nouvelles vulnérabilités. On peut plus facilement usurper les identités, s’introduire dans le compte de quelqu’un ou encore pirater des dispositifs électroniques ».
S’ajoute à cet environnement anxiogène la question des contraintes légales. « Il devient très compliqué de défendre les droits humains et de protéger la vie privée », dit-il. Une partie de la réponse passe par la notion de cryptographie, qui permet d’assurer la sécurité des communications. « Il est absolument nécessaire pour les banques, par exemple, de s’assurer que les informations de leurs clients ne tombent pas dans le domaine public et occasionnent des opérations frauduleuses », explique M. Ganascia. Autrefois, l’Etat se réservait le droit de crypter seul, pour des raisons militaires.
Il a fallu attendre 1998, c’est-à-dire l’arrivée d’Internet et des transactions en ligne, pour que le cryptage soit mis à la disposition d’acteurs privés. Une évolution qui a fait perdre à l’Etat certains moyens d’action, en empêchant les enquêtes policières d’aller jusqu’au bout des messageries cryptées.
Mieux prédire les risques grâce à l’intelligence artificielle
A contrario, le progrès technologique permet d’aller très loin dans l’authentification des individus, dans les aéroports notamment. Aujourd’hui, on est capable de vérifier que la personne qui présente une pièce d’identité est bien celle dont la photo figure dessus.
Dans le même esprit, les systèmes d’identification sont maintenant capables de reconnaître un individu dans une foule de plusieurs milliers de gens.
« Ceci soulève beaucoup de réticences en France mais pas du tout en Chine », fait remarquer Jean-Gabriel Ganascia, qui voit « un paradoxe singulier » dans la demande des citoyens en faveur, à la fois de plus d’éthique, et de plus de sécurité.
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Des exigences « légitimes mais parfois antinomiques ». L’intelligence artificielle illustre bien le propos. « Toutes nos activités sont numérisées et laissent des traces pouvant ensuite être exploitées par différents acteurs dont nous ignorons l’existence, la loi ne peut plus protéger de tout », selon lui. La menace est d’autant plus élevée qu’on peut aussi créer de fausses données, les fameuses fake news, ou incruster à volonté des visages dans des images ou des vidéos, les deep fake.
« Il est devenu très difficile de faire du renseignement en amont, car l’information est extrêmement volumineuse et difficile à vérifier », pointe Thomas Meszaros.
L’intelligence artificielle peut apporter un « plus » dans l’action de prévention et de traitement des données, le célèbre big data dont tout le monde parle. Mais la fuite des informations sur l’identité ou la santé d’un individu est toujours possible. La question des libertés individuelles reste entière.