Une brève histoire de la sécurité privée en France

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Des origines avec le mythique Vidocq aux récentes lois de régulation l’histoire de la sécurité privée en France met en lumière les multiples visages de ce secteur qui s’est construit au rythme des évolutions sociétale et politique du pays.

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Une brève histoire de la sécurité privée en France

Détectives privés et gardiennage d’usines

C’est au début du XIXe siècle que les historiens datent l’émergence de l’entreprise de sécurité privée avec, en 1832, la création de la première agence de police privée dirigée par Vidocq, un ancien bagnard devenu policier puis détective privé. « Il s’agissait plus d’une agence de détectives privés que d’une entreprise de gardiennage avec des prestations liées à des affaires de famille, souvent matrimoniales », précise Daniel Warfman, dirigeant de la société ID Europe Consulting et auteur de La sécurité privée en France*.

Parallèlement, en 1861 aux Etats-Unis, l’agence Pinkerton fait échouer un complot visant à assassiner Abraham Lincoln. C’est la naissance des gardes du corps privés. Dans le contexte préindustriel de l’époque, le besoin de se protéger et de protéger sa famille s’affirme. La bourgeoisie dominante ne se satisfait pas des services de la police urbaine qui se professionnalise. Elle se tourne donc vers les agences de police privée, malgré la réputation d’escrocs de certains de leurs personnels à cette époque. « Dès lors, on distingue les deux piliers du développement des entreprises de sécurité privée : la police d’usine, au début du XXe siècle et la police des grands magasins décrite par Émile Zola dans son roman Au bonheur des dames » résume Daniel Warfman.

Ces nouvelles fonctions sont encadrées entre autres par la loi de 1892, qui crée le poste garde particulier assermenté de la propriété, un dispositif encore en vigueur dans le Code de procédure pénale actuel.

Le périmètre des missions de ces « polices privées parallèles » commence déjà à faire débat notamment à propos de la recherche de renseignements, activité directement en concurrence avec celle de la force publique.

Au cœur des luttes entre syndicalistes et patronat sous la IIIe République

Tout au long de la IIIe République (1870 à 1940), les polices privées, très présentes dans les domaines de la grande distribution et de l’industrie, jouent un rôle important dans la lutte que se livrent patronat et syndicats. L’employeur possède à cette époque un fort pouvoir disciplinaire sur ses ouvriers, à qui il peut infliger des amendes en cas de résistance ou de « mauvaise volonté ». Pour prévenir les mouvements sociaux des officines se spécialisent dans l’espionnage des ouvriers. « Le procédé est très répandu à l’époque et rapporte beaucoup », confirme Daniel Warfman. Les agents de ces polices infiltrent les réunions des organisations ouvrières mais peuvent également se spécialiser en tant qu’agences de détectives et de gardes privés.

C’est en 1941 qu’une loi étatise la police municipale dans les grandes agglomérations (comptant plus de 10.000 habitants) et que l’appellation de Police nationale est donnée pour la première fois.

L’État devient décideur au milieu du XXe siècle

C’est sous le gouvernement de Vichy qu’un premier acte de loi (du 28 septembre 1942) va revenir explicitement sur la réglementation des agences de recherche et en faire une profession réglementée. Le Ministre de l’Intérieur devient alors le responsable de ce secteur car c’est lui qui délivre les autorisations d’exercice dans le cadre des demandes de création de société ou pour tout ancien fonctionnaire candidat à un emploi ou à une fonction de dirigeant dans une agence de recherche privée.

Le rôle de l’État comme définisseur des règles du jeu en matière de police administrative s’impose au début de la Ve République, tandis que l’image des sociétés de sécurité privée pâtit de certaines de leurs actions dans les années 60. Le Service d’action civique (SAC) créé en décembre 1959, en plein trouble lié à la guerre d’Algérie, incarne le côté obscur de ces organisations, souvent gérées en mode « commando ». Service d’ordre gaulliste, le SAC sera dissous en 1981. À l’époque, une commission parlementaire avait eu pour mission de faire la lumière sur la reconversion de certains extrémistes et de gros bras du SAC dans des sociétés de gardiennage et de sécurité, s’interrogeant sur une potentielle menace pour l’ordre public. Des sociétés « douteuses » ont même été identifiées, mais quelques années plus tard il était établi que ces officines restaient marginales.

Années 80, la loi encadre enfin le secteur

Dans les années 60 et 70, des faits divers vont marquer l’histoire de la sécurité privée. La mort très controversée de Pierre Overney, militant maoïste et syndiqué CGT, abattu en 1972 par un vigile de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, déclenche une grande manifestation aux mots d’ordre de « autodéfense ouvrière ». Mais c’est en 1981, après l’élection de François Mitterrand, que deux faits divers vont générer les débats et les besoins de réglementation. Il s’agit d’une part du décès d’un clochard au Forum des Halles à Paris, frappé à mort par un « vigile » pendant la période de Noël et d’autre part de la dislocation d’un piquet de grève qui occupait une usine dans le Calvados par un raid d’anciens parachutistes, tous membres d’une entreprise de gardiennage.

C’est à la suite de ces deux évènements que la première loi fondatrice du 12 juillet 1983 sera promulguée. Elle régit aujourd’hui les activités de sécurité privée. « Cette loi, qui est une loi de défiance, constitue un socle fondateur de référence, rappelle Daniel Warfman. Elle est à mi-chemin entre une conception tatillonne du contrôle de l’État et une souplesse consentie à la direction des entreprises de sécurité privée. On garantit à ces dernières la liberté d’entreprendre dans un secteur de services qui accueille les agents de l’État en recherche de reconversion ».

Anticiper les enjeux sécuritaires de demain

La Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2), promulguée en 2011, a créé un régulateur de la profession, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Une mesure nécessaire tant le secteur a évolué ces trente dernières années, connaissant une expansion importante avec une diversification de ses activités et une multiplication de ses acteurs. La demande de protection qui caractérise notre société aujourd’hui inclut le fait que la sécurité publique ne peut plus faire face seule aux divers risques et menaces qui pèsent sur la vie des citoyens et des entreprises. Le Livre VI du Code de la sécurité intérieure, créé en 2012, régit les activités de sécurité privée et pose les principes de ce secteur encore difficile à réguler.

La lutte contre la sous-traitance et l’évolution du métier d’agent de sécurité sont aujourd’hui les priorités des acteurs du secteur, portées par le Livre blanc de la sécurité intérieure, paru au début de l’année 2021. Même s’il faut bien constater que le développement des activités de sécurité privée s’inscrit dans des secteurs où le désengagement de l’état est notoire, comme dans le secteur aéroportuaire où la sécurité privée a remplacé la police pour les contrôles des passagers et du fret, ou dans le cadre d’événements exogènes comme le contrôle des pass sanitaires.

L’équilibre et la collaboration entre sécurité publique et sécurité privée vont devoir se confirmer, avec en ligne de mire l’imminence d’échéances majeures comme l’organisation des Jeux olympiques à Paris en 2024.

Sources

  • La sécurité privée en France, de Daniel Warfman et Frédéric Ocqueteau, Collection Que sais-je, 2011.
  • www.cairn.info