Accidents du travail : « La meilleure prévention, c’est de supprimer les situations dangereuses »

Interview d'Anne-Sophie Valladeau, experte en gestion des risques professionnels à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelle (INRS).

Temps de lecture : 5 minutes (en moyenne)

Accidents du travail

Comment se positionne la France en matière d’accidents du travail ?

Anne-Sophie Valladeau : La France n’est ni pire ni meilleure que les autres pays européens. Selon l’assurance maladie, un peu plus de 604 000 accidents ont été recensés en 2021. Cela représente une hausse de 12% par rapport à l’année précédente, mais l’élément de comparaison est très relatif, à cause de la pandémie de Covid qui avait mis de nombreuses activités à l’arrêt en 2020. Par rapport à 2019, les chiffres s’inscrivent en baisse de 8%. Rapporté aux effectifs des entreprises, l’indice de fréquence se situe autour de 31 accidents du travail pour 1 000 salariés. C’est un niveau considéré comme exceptionnellement bas.

L’INRS est un organisme paritaire créé après la guerre sous l’égide de la Sécurité sociale. Quel est son rôle ?

A.-S. V. : Sa principale ambition est de promouvoir une culture de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ses missions s’articulent autour de trois axes : identifier les risques et mettre en évidence les dangers, analyser leurs conséquences pour la santé et la sécurité des salariés, diffuser les moyens de maîtriser ces risques au sein des entreprises.

Quels sont vos moyens d’intervention ?

A.-S. V. : Nous conduisons des programmes d’études et de recherche, et nous délivrons une assistance technique, juridique, médicale et documentaire pour le compte de l’État, de la Sécurité sociale, d’entreprises, de services prévention et de santé au travail, de CSE ou de salariés. Nous proposons aussi une large gamme de formations et diffusons les savoir-faire en prévention au moyen de supports d’information, de sensibilisation et de communication variés.

Comment aborde-t-on le problème des accidents dans le monde du travail ?

A.-S. V. : L’accident du travail ne doit pas être considéré comme une fatalité, mais comme un révélateur de dysfonctionnements au niveau d’une situation de travail ou plus largement au niveau de l’organisation de l’entreprise. Il faut distinguer deux types d’actions pour les prévenir : les actions a priori et les actions a posteriori. Les actions a priori sont celles qui se déploient avant que l’accident ne se produise. Il s’agit de réfléchir aux actions préventives à mettre en place. Les actions menées a posteriori sont celles qui se déploient quand l’accident s’est produit. Elles conduisent à des actions correctives pour éviter que cet accident ne se reproduise.

En quoi consiste la prévention ?

A.-S. V. : Agir pour empêcher que les risques professionnels ne génèrent des atteintes à la santé des travailleurs. Les entreprises doivent analyser les risques auxquels sont exposés leur personnel, dans leurs différentes activités. Ces risques peuvent être liés à l’utilisation de certains matériels, à la façon de travailler, à l’environnement de travail qui peut amener à des problèmes de santé. Le plus pertinent est d’interroger le salarié sur ce qui lui est demandé à son poste de travail, sur la façon dont il réalise sa mission, et avec quelles problématiques. Cela mène à la connaissance de la réalité des situations de travail dans l’entreprise et cela permet d’identifier les risques professionnels en s’appuyant par exemple sur ceux décris par l’INRS.

Des objectifs précis sont-ils fixés ?

A.-S. V. : L’idée est d’arriver à mettre en place des mesures de prévention, aussi bien dans l’organisation du travail que dans la technique en mobilisant les compétences des salariés. La meilleure prévention, c’est de supprimer les situations dangereuses.

Et quand un accident survient malgré tout ?

A.-S. V. : Il faut alors s’interroger sur les événements qui ont amené à cet accident, en identifiant les causes immédiates, mais également les causes profondes. Ces dernières sont davantage ancrées dans la façon de travailler et dans l’organisation générale de l’entreprise. L’objectif est de les modifier pour qu’elles fassent partie de la prévention contre de futurs accidents.

Comment convaincre les entreprises de se saisir du sujet ?

A.-S. V. : L’axe financier est envisageable. Les entreprises qui relèvent du régime général de la Sécurité sociale versent des cotisations employeur pour le risque accidents du travail et maladies professionnelles. C’est un système d’assurance dont les contributions sont en fonction du nombre de salariés, du secteur d’activité et de la sinistralité. En clair, plus les accidents du travail sont nombreux, plus les cotisations sont élevées. Mais les entreprises doivent prendre conscience qu’un salarié qui arrive le matin doit repartir le soir dans le même état. Personne n’est sensé mourir au travail.

Pensez-vous que le monde du travail prend la mesure du problème ?

A.-S. V. : Il est de la responsabilité de l’employeur de maintenir le salarié en bonne santé. C’est une question de respect. Il reste encore du travail pour que les entreprises fassent passer la santé et la sécurité avant d’autres priorités.