Comment développer une culture de sécurité dans son entreprise ?
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Qu'est-ce que la culture de sécurité au travail ?
Ivan Boissières : Il existe différentes approches de ce concept. Je mets le focus sur deux d’entre elles. La première, c’est de dire que la culture de sécurité représente des façons de faire et de voir partagées par les différents acteurs pour maîtriser les risques.
L’autre approche est apparue à la suite de l’explosion de la navette Challenger et de l’accident nucléaire de Tchernobyl. On s’est rendu compte que, à l’origine de nombreux accidents industriels graves, il n'y avait non pas une erreur humaine mais une accumulation de dysfonctionnements au sein de l’organisation.
Dans cette approche, la culture de sécurité est une culture d'entreprise qui met la sécurité au cœur de ses arbitrages dans tous les processus clés (achats, ressources humaines…). Cela veut dire que lorsque vous faites un choix de sous‑traitance par exemple, vous regardez d'abord les apports des sous‑traitants sur la sécurité avant d'ouvrir l’enveloppe de coûts.
Les entreprises de sécurité, comme Securitas, ont un rôle important à jouer grâce notamment aux agents de sécurité. Ils s’intègrent dans la culture de sécurité spécifique du site, connaissent les risques les plus importants et peuvent proposer des pistes d’amélioration.
Comment une entreprise peut-elle développer sa culture de sécurité et la faire évoluer ?
I. B. : Il n’existe pas une culture de sécurité unique que l’on pourrait calquer partout. Chaque entreprise a ses spécificités propres, ses risques et ses contraintes. Pour mener à bien un changement réussi et pérenne, il y a cinq étapes essentielles : le diagnostic, la vision, le programme, le parcours et l’ancrage (voir schéma ci‑dessous).
La première étape est donc d’établir un diagnostic de ses points forts et faibles, d’identifier les risques majeurs. Depuis vingt ans, le taux de fréquence des accidents a fortement baissé, mais le nombre de risques majeurs et d'accidents graves stagne.
Il faut développer un premier socle d'une culture de sécurité partagée, où toutes les parties prenantes ont conscience des risques les plus importants et de la nécessité de changer.
Un test facile à réaliser consiste à demander à vos collaborateurs qu’ils vous citent le top 3 des risques sur le site, s'ils vous répondent chacun des choses différentes, c’est que vous n'avez pas réussi à créer une véritable culture de sécurité.
Il est très important dans cette première phase de diagnostic de partager cette photographie avec les collaborateurs. Il faut ensuite proposer une vision claire, concrète et synthétique pour donner du sens. À partir de là, on peut co‑construire le programme d’actions en s’appuyant sur trois piliers : les dimensions techniques, les systèmes de management de la sécurité ainsi que les facteurs humains et organisationnels. Puis, on peut enchaîner sur les deux dernières étapes, le parcours et l’ancrage.
Est-ce qu’il suffit de renforcer les procédures pour réussir sa culture de sécurité ?
I. B. : Non, il est nécessaire de trouver le juste équilibre entre une sécurité réglée, qui s’appuie sur les procédures, et une sécurité gérée, qui repose sur le comportement proactif et le professionnalisme des hommes et des femmes sur le terrain.
Il est impossible de prévoir toutes les procédures pour toutes les situations que les collaborateurs vont rencontrer. Il s’agit de travailler sur une amélioration continue sur trois ou quatre points, investir dans des ressources internes, créer des réseaux d’ambassadeurs de la sécurité, mettre en place des rituels comme les causeries sécurité…
Il faut un mélange d’actions à moyen terme, des « quick‑wins », qui donnent des résultats rapides et visibles, et d’actions qui s’inscrivent dans la durée. Il est impératif de garder le cap dans le projet de changement.
En quoi l'implication du top management est‑elle essentielle ?
I. B. : D’une façon générale en matière de gestion du changement, l'implication du management est souvent le point de départ pour créer une dynamique au niveau du personnel. Cela implique un véritable engagement du top management mais aussi de travailler sur le leadership pour mobiliser les collaborateurs.
On regarde toujours au‑dessus de soi. Si les dirigeants qui se rendent sur le terrain ne s’intéressent qu’aux critères économiques et ne parlent jamais de sécurité, dépenser des fortunes en signalétique de sécurité ne servira à rien. Il faut qu’au plus haut niveau managérial l’exemple soit donné.
Faut-il parvenir à une co‑construction de la culture de sécurité, faire de chaque collaborateur le co‑acteur de sa propre sécurité et de celle de ses collègues ?
I. B. : L’ICSI a identifié 7 attributs d’une culture de sécurité performante (voir infographie ci‑dessous), celle que l’on appelle la « culture de sécurité intégrée », où chacun fait sa part du boulot et facilite le travail de l’autre.
Il est nécessaire de favoriser pour cela un management participatif, le personnel doit être impliqué dans la définition des règles d’or de sécurité, il doit y avoir une vigilance partagée entre collègues…
Un bon dialogue social participe aussi à la construction d’une culture de sécurité solide. Sans oublier les sous-traitants qui doivent également être mobilisés en créant un socle commun de références et de culture partagée pour bien travailler ensemble.
Quel a été l’impact de la crise liée à la Covid‑19 sur la culture de sécurité ?
I. B. : Le contexte Covid a été un moment de vérité. Certaines entreprises, bien que confrontées à de terribles difficultés économiques, ont continué à investir dans des programmes très ambitieux en matière de culture de sécurité.
Car la sécurité est le bon point d’entrée pour optimiser le fonctionnement global de l’entreprise. On dit souvent : « good safety is good business ». Et c’est vrai, nous l’avons constaté dans nos benchmarks, très souvent les entreprises qui ont les meilleurs résultats en matière de sécurité sont leaders sur leurs marchés et sont en meilleure santé économique.
La Covid a aussi permis de révéler des forces en interne dont on n’avait même pas conscience et qui ont permis notamment d’éviter des accidents, de s’adapter aux événements et de créer de la résilience. Il faut continuer à capitaliser sur ces forces même après la crise.