État et sécurité privée, une relation de confiance ?

Le maître de conférences Christophe Aubertin met en lumière les relations entre l’État et la sécurité privée, faisant écho aux débats du colloque* éponyme auquel il a pris part et qui a réuni plus de 200 participants le 27 janvier 2021.

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Christophe Aubertin

Quelle est la nature de la relation entre l'État et la sécurité privée, peut-on parler de relation de confiance ou plutôt de défiance ?

Christophe Aubertin : Cette question complexe était au cœur du colloque organisé par l’Université Côte d'Azur et l’Université de Paris, le 27 janvier dernier, en collaboration avec mon collègue Xavier Latour, professeur agrégé de droit public, spécialiste de droit de la sécurité et de la défense.

De grands progrès ont été accomplis concernant la confiance de l'État vis-à-vis de la sécurité privée. À l’époque, la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités de sécurité privée était inspirée par la défiance à l'égard de cette dernière. Aujourd’hui, au contraire, la proposition de loi relative à la sécurité globale, actuellement débattue au Parlement, intègre la sécurité privée dans le continuum de sécurité. Il est clair que l'État ne parvient plus à assurer seul toutes les missions de sécurité. Réciproquement, la sécurité privée a besoin de l'État pour encadrer et réguler la profession. Mais le contrôle des activités est compliqué en raison de l’atomisation du secteur : d’un côté, il y a quelques grandes entreprises, et, de l’autre, une multitude de petites entreprises, où l’on trouve le meilleur comme le pire.

La qualité du recrutement des agents de sécurité n’est-elle pas au cœur du problème ?

C. A. : Les acteurs de la sécurité publique mettent, certes, beaucoup l'accent sur les efforts de professionnalisation qui doivent être accomplis par les entreprises de sécurité privée. Il faut toutefois relever que de très importants efforts ont déjà été accomplis : la durée de la formation initiale a été augmentée, le contrôle effectif de la formation continue a été instauré. On peut donc s'interroger sur la possibilité de continuer à progresser dans cette voie, compte tenu du coût de cette professionnalisation. Si l'État veut qu’elle soit encore améliorée, il faut absolument assurer dans le même temps la hausse du prix des prestations afin de financer cet effort.

Comment favoriser alors cette hausse du prix des prestations ?

C. A. : Dans une économie libérale, l'État ne peut pas agir directement sur les prix mais il dispose d’un certain nombre de leviers. Il pourrait, par exemple, modifier la pratique du choix systématique du moins disant dans les marchés publics, en prenant en considération non seulement le prix des prestations mais aussi leur qualité. Par ailleurs, le code de déontologie** de la profession interdit en principe la pratique de prix anormalement bas, il appartient au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) de veiller à son application effective.

Comment l'État et les entreprises de sécurité privée peuvent-ils mieux travailler ensemble pour assurer la sécurité des citoyens dans un contexte particulièrement complexe (terrorisme, pandémie, etc.) ?

C. A. : Dans la plupart des cas, la sécurité publique et la sécurité privée ne collaborent pas réellement ensemble. La sécurité publique agit dans l'intérêt général et exerce des prérogatives de finances publiques, tandis que la sécurité privée œuvre dans l'intérêt particulier de ses clients et exécute des contrats. Ça n'exclut pas la coordination, ni même la coopération. Des formes de coproduction de la sécurité se produisent déjà, par exemple lors de l'organisation des grandes manifestations sportives ou culturelles. On constate des modèles de coopération ou de coordination d'intensité variable. Certains sont très aboutis comme en matière de sûreté portuaire ou aéroportuaire, où les agents de sécurité privée exécutent leurs missions sous le contrôle des autorités publiques. On trouve aussi des formes de coopération beaucoup plus souples qui peuvent avoir pour base de simples conventions entre les différents acteurs de la sécurité, comme celle relative à la sécurité des centres commerciaux.

À l’étranger, rencontre-t-on les mêmes difficultés ?

C. A. : De nombreuses difficultés ou défaillances peuvent se produire aussi dans d’autres pays, l'exemple des épreuves olympiques qui se sont déroulées en 2012 à Londres est là pour le prouver. D’un autre côté, il existe indiscutablement des pays où la confiance mutuelle entre la sécurité publique et la sécurité privée est beaucoup plus marquée qu’en France, notamment en Espagne. Les rapports entre la sécurité publique et la sécurité privée dépendent des particularités nationales, de l'histoire de chaque pays. La France se caractérise par une prépondérance très importante de l'État dans le domaine de la sécurité, beaucoup plus qu’ailleurs, ce qui complique la tâche consistant à trouver la place exacte de la sécurité privée.

Comment, selon vous, mettre en place un continuum de sécurité performant ?

C. A. : L'une des conditions essentielles est de développer la confiance mutuelle. Mais elle ne se décrète pas, il est tout à fait vain d'espérer que des réformes législatives ou réglementaires agissent directement sur cette confiance réciproque. C'est une œuvre de longue haleine, il faut raisonner sur le long terme et faire évoluer les mentalités pour favoriser la coopération entre tous les acteurs de la sécurité. Il existe de nombreux leviers pour y parvenir. La formation en est un. Les acteurs de la sécurité publique doivent apprendre à mieux connaître la sécurité privée. Parallèlement, les acteurs de la sécurité privée doivent, eux, avoir une connaissance plus précise des missions de la sécurité publique et des limites de leurs propres prérogatives. Un autre levier résulte des passerelles entre la sécurité publique et la sécurité privée. Comme il existe déjà des voies de passage en faveur des membres des forces de l’ordre, des passages dans l’autre sens pourraient également être ouverts au profit de certains acteurs de la sécurité privée.

Securitas a d’ailleurs signé des partenariats avec l’État pour proposer, par exemple, des opportunités aux adjoints de sécurité de la police nationale en fin de mission. Cela va-t-il dans le bon sens selon vous ?

C. A. : Oui, c'est une pratique qui devrait être encouragée. En même temps, il faut souligner que ces conventions de partenariat pour le recrutement de professionnels issus de la sécurité publique sont envisageables par les grandes entreprises, comme Securitas, mais il paraît difficile de les mettre en œuvre pour les PME ou TPE du secteur.

Pour conclure, pensez-vous que l’on peut être raisonnablement optimiste sur l’évolution des relations entre l’État et la sécurité privée ?

C. A. : Oui sans équivoque, car l'État a besoin de la sécurité privée, et la sécurité privée, de son côté, ne peut pas ignorer que le principal responsable de la sécurité est la puissance publique. Cependant, entre l'État et la sécurité privée, comme le dit Xavier Latour, l’union est peut-être plus un mariage de raison qu'un mariage d'amour.

* La Faculté de droit, d'économie et de gestion de l’Université de Paris et le Centre d’études et de recherche en droit administratif, constitutionnel, financier et fiscal (CERDACFF) de l’Université Côte d'Azur ont organisé, le 27 février 2021, un colloque sur le thème « Les relations entre l’État et la sécurité privée ». Les actes du colloque seront édités chez Mare & Martin. ** Décret no 2012-870 du 10 juillet 2012 relatif au code de déontologie des personnes physiques ou morales exerçant des activités privées de sécurité (art.R.631-1 et s. du code de la sécurité intérieure).