« Le rôle des entreprises de sécurité est encore trop sous-estimé »

Interview de Stéphane Volant, Président du Club des directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises (CDSE).

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Le rôle des entreprises de sécurité est encore trop sous-estimé

Fin 2021, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, saluait le secteur privé comme la « troisième force de sécurité du pays ». Où en est aujourd’hui la relation public-privé ?

Stéphane Volant : Même si le ministre de l’Intérieur y attache une importance grandissante, le continuum de sécurité reste encore un concept à développer. La gendarmerie et la police nationales y sont parties prenantes aux côtés des polices municipales mais la sécurité privée, et plus globalement les entreprises, peinent encore à y occuper toute la place qui leur revient. C’est pourquoi la création prochaine d’une direction du continuum est si attendue, car elle devrait fédérer toutes ces forces.
C’est important, surtout dans la perspective des JO 2024 qui méritent un grand « tous ensemble » pour une sécurité optimale.

Certains décrets de la loi de sécurité globale ne sont-ils pas entrés en application ?

S. V. : La réforme du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) est aujourd’hui effective et c’est vraiment bien. Il s’agit-là d’une réussite collective puisque, sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur, les donneurs d’ordre et leurs prestataires entreprises de sécurité privée ont véritablement participé à la rénovation du système. Le CNAPS dispose ainsi aujourd’hui, en son sein, d’une commission d’expertise qui nourrit la réflexion sur la sécurité privée, notamment dans sa dimension économique. C’est un grand progrès, comme j’ai pu le constater lors de la mise en place de l’agrément dirigeant de service interne de sécurité. Dans les entreprises, la mise en conformité relative à cette nouvelle disposition aurait pu s’avérer extrêmement lourde et coûteuse, surtout en matière de formation. Mais le CNAPS, grâce à sa commission d’expertise a su faire preuve d’écoute et de pédagogie.

Quel est le poids du privé dans la sécurité ?

S. V. : On ne le mesure pas encore assez mais il est colossal. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes puisque les seules entreprises adhérentes au Club des directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises (CDSE) dépensent chaque année plus de 100 milliards d’euros dans leur sécurité. Même si comparaison n’est pas raison, on est quand même loin du budget du ministère de l’Intérieur qui avoisine les 20 milliards d’euros.

D’où cela vient-il ?

S. V. : Cela vient peut-être du fait qu’une confusion perdure entre les entreprises qui réalisent des prestations de sécurité et les entreprises donneuses d’ordre, qui achètent ces prestations. Heureusement, la Délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS) du ministère de l’Intérieur œuvre à mieux prendre en compte l’ensemble de ces questions. Gageons que la future direction du continuum permettra d’aller encore plus loin dans l’interface public-privé afin de bâtir une relation de confiance forte et pragmatique qui répondra aux besoins de l’ensemble des acteurs du continuum de sécurité, dans leurs prérogatives respectives. Mais aussi afin de lancer des ponts encore plus nombreux entre ces différents acteurs : police et gendarmerie nationales, polices municipales, entreprises donneuses d’ordre, prestataires de sécurité privée.

Comment se profilent selon vous les Jeux Olympiques que la France accueillera en 2024 ?

S. V. : L’organisation des JO s’annonce très complexe en matière de sécurité. Les représentants de la profession ainsi que la Cour des comptes l’ont déjà signalé et c’est pourquoi tous les acteurs sont sur le pont. Personne ne voit plus la sécurité privée comme l’alpha et l’oméga de la sécurité des JO. A l'instar de ce qui s’est passé aux JO de Londres, tous les acteurs du continuum seront présents, même ceux qui n’ont pas encore répondu à l’appel.

La récente réforme du CNAPS aide à recruter plus vite et mieux un nombre d’agents de sécurité privée qui participeront à la sécurité des JO. Une campagne de revalorisation de cette profession qui passe par une augmentation des salaires (enfin !) aide également à recruter davantage. Les policiers et les gendarmes sont mobilisés. Les entreprises s’apprêtent aussi à accueillir plus de clients-touristes « en toute sécurité ». Des outils modernes qui feront appel à des technologies innovantes seront utilisés. Bref, l’État dans toutes ses composantes, ainsi que les entreprises s’affairent, chacun à sa place, sans se défausser, mais sans prétentions excessives, à faire des JO 2024 une réussite. Et d’autres solutions et moyens pour renforcer la sécurité des Jeux sont encore à l’étude. Au-delà du Plan A connu aujourd’hui, je parie sur un Plan A’.

Quelles autres solutions ?

S. V. : Il ne m’appartient pas de les dévoiler, car je ne suis pas dans le secret. Chacun à sa place. Mais je sais que, si la sécurité privée se mobilise, ses métiers sont déjà en déficit de 20 000 agents et l’on nous dit qu’il en faudrait 20 000 de plus pour la durée des Jeux. Il est donc illusoire d’imaginer un recrutement de 40 000 dans les prochains mois.

Par ailleurs, la profession comme les donneurs d’ordre, sont dans l’attente de la réforme de la formation des agents privés de sécurité prévue par la loi relative à la sécurité globale. Celle-ci devra permettre aux prestataires de proposer une offre où la qualité prend le pas sur la quantité, avec une filière sécurité privée structurée par un encadrement intermédiaire et des agents qualifiés sur des blocs de compétences spécifiques. C’est ce que les donneurs d’ordre attendent de la sécurité privée de demain : la qualité avant la quantité. Et demain, ce sont déjà les Jeux Olympiques.

Qu’ont fait les entreprises de sécurité pour attirer du monde ces derniers mois ?

S. V. : En 2022, le Groupement des entreprises de sécurité (GES) a fourni un très gros effort, en augmentant de 7,5 % la rétribution des agents de sécurité. Ce n’est pas rien ! Cela représente même une profonde revalorisation de statut. En outre, les entreprises du secteur, le CNAPS et même Pôle Emploi ont mené plusieurs campagnes de communication sur le recrutement. On revient de tellement loin que certains se prennent à rêver d’une nouvelle augmentation de 10 %. Je le dis très clairement : ce ne sera pas possible. Dans le contexte inflationniste que l’on connaît, les donneurs d’ordre ne pourraient absolument pas financer une pareille hausse, qui ne manquerait pas d’être reportée sur les tarifs pratiqués par les opérateurs de sécurité.

Quel vœu formez-vous à court terme ?

S. V. : Que chacun prenne sa part, toute sa part, mais rien que sa part, de la réussite des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ! Dit comme ça, ça paraît simple. Mais, dans les faits, le challenge est immense. Je sais cependant que chacun en a conscience, notamment le ministère de l’Intérieur et les acteurs de la sécurité économique. Mais peut être que d’autres envisagent aussi de les rejoindre pour renforcer leurs moyens…